vendredi 31 mars 2017

Le Passeur de Dieu

Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Le Passeur de Dieu, Robert Laffont 2014



D’habitude j’aborde l’abbé Zanotti-Sorkine à reculons, un peu agacé par la soutane lustrée et les dents blanc-marial. Mais là je suis soufflé. Le passeur de Dieu est un excellent roman d’initiation et de méditation spirituelle, d’une écriture humble et très poétique.
Le récit est à la première personne. On y entre donc allégrement à côté d’un sympathique narrateur, paumé à Paris, journaliste égaré à 30 ans dans un très ordinaire désert existentiel...
Puis on est pris avec lui par la main et conduit vers un moine haut en couleurs : le Passeur de Dieu. Ce personnage, concentré d’ermites, de sages et de starets de toutes les hauteurs et profondeurs spirituelles du christianisme, nous guide vers quelques sources oubliées qui chantent au fond. Et voilà que petit à petit, en douce, on revit, on retrouve le sens du réel, le sens de soi et le sens de Dieu.
J’ai apprécié la magnifique catéchèse sur l’Eucharistie qui nous est, l’air de rien, proposée au milieu du roman. Et, même si la deuxième partie devient peut-être un peu trop bavarde dans le silence d’un ermitage monastique (il faut bien trouver des défauts pour qu’une recension sonne vrai !), on finit par trouver qu’il vaut la peine de marcher simplement puisque Dieu est simple et marche avec nous.
Pour ne pas raconter la fin, laissons ici deux magnifiques citations.

D’abord celle mise en préface du livre : «  Pour nous porter un peu d’eau fraîche, les grandes âmes font la chaine du fond de l’éternité. » (Montherlant)

Et puis cette belle réflexion sur la profondeur du réel :

« Que savons-nous, même du réel ? Seule l’apparence est livrée, le reste est caché, grâce à Dieu sans doute, car on ne peut vivre que d’extases. C’est sans doute avouer que le réel, s’il se dévoilait dans ses beautés souterraines, nous écraserait de toute sa splendeur. Mieux vaut donc en rester à la surface des choses, et au fond, garder quelques surprises pour le dernier jour. » (p.103)

vendredi 24 mars 2017

le chemin de croix

C’était le vendredi 10 mars, nous cherchions comment donner plus de corps et de coeur à la célébration, traditionnelle les vendredis de Carême, du chemin de Croix.
Comment aménager les 14 stations (étapes) de ce chemin de solidarité sprirituelle avec notre Dieu qui souffre et avec tous ses enfants souffrants.
Faire des statitions avec croix de bambous sur les chemins de la colline pour finir à la grande église ou alors plus traditionnellement tourner dans la nef de l’église ?
Nous avons finalement opté pour la deuxième solution et je me suis mis à esquisser sur 14 feuilles A4, 14 dessins des stations où Jésus est réduit à une simple trait d’humilité et de souffrance. J’étais très content de moi.

Le lendemain 11 mars, nous avons été attaqués par les miliciens et le chemin de croix prit pour mes confrères et moi une réalité plus profonde.

jeudi 23 mars 2017

Donne-nous aujourd’hui le pain de ce jour


Dans un pays de misère et de guerre, avoir la possibilité de fabriquer son pain, de le voir dorer dans un beau four à bois est une vraie grâce et une vraie joie.
Ce matin, dans la communauté des sœurs de Saint Joseph de Tarbes, Sœur Georgine s’est levée de très bonne heure pour enfourner le pain qui reposait avec sa levure depuis la veille.
Avec la sentinelle de la communauté elle a préparé le brasier, installé les boules de pâtes dans le four et attendu sous la pluie !

Un peu de pain chaud et d’eau fraîche... et voilà que la guerre, la misère, les souffrances et les soucis prennent une autre couleur...

lundi 20 mars 2017

les liturgies ordinaires


Ce matin, il pleut à verse lorsque je commence la messe dans la petite communauté des sœurs où je me suis replié provisoirement après les violences dont ma Colline a été le théâtre.
Pendant la lecture de l’évangile, je vois une moto transportant trois messieurs passant devant la fenêtre sous la pluie battante, puis à l’offertoire un groupe de six ou sept femmes cheminant rapidement dans la même direction. Mon étonnement augmente : comment peut-on sortir par un pareil déluge... L’explication vient au moment de l’Agnus lorsque tout ce monde et d’autres personnes reviennent en poussant des cris de deuil.
C’est qu’un vieux papa était tombé devant sa maison. On l’a transporté au dispensaire des sœurs à moto et sa famille suivait à pieds. Trop tard. Le monsieur est décédé à la porte du Centre de soin. On a aidé avec un brancard la famille qui est retournée à la maison en grand deuil avec toutes les larmes du ciel.
Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous !


Cela fait remonter à ma mémoire la messe de dimanche. C’était la lecture magnifique de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. Peu avant l’évangile, je vois deux femmes passer sur la route avec d’immenses bidons jaunes sur la tête. Elles marchent allégrement, discutent et rient, leurs récipients sont donc vides. Elles vont à la source, là bas derrière, vers le grand ravin qui borde le quartier. Elles reviendront suant sous leurs lourdes charges d’eau. Puissent-elles y avoir rencontré un peu de cette Eau vive que moi, tranquille dans une douillette chapelle, je suis en train de célébrer !

jeudi 16 mars 2017

la guerre

Nous vivons le Carême dans notre chair. Depuis une semaine la colline est rattrapée par la guerre qui s’est déclenchée en août dernier et qui a désormais atteint tous les coins de la province et plus largement. La situation politique est toujours aussi désastreuse, les élites ne faisant pas grand chose pour sortir d’une impasse démocratique. 
Nous sommes courageux, même si nous avons dû nous replier en partie et provisoirement dans un couvent de la ville, pour être en sécurité mais nous n’abandonnons pas le troupeau qui nous est confié. 
Ce qui me fait surtout très mal dans toutes ces violences, c’est qu’en premières lignes des agresseurs et des agressés, il y a des jeunes et des pauvres et surtout des enfants très pauvres ! Les jeunes et même les enfants se font initier en nombre dans les rites magiques des milices comme unique recours au manque total de perspectives.
Aujourd’hui on me racontait (puissent n’être que rumeurs infondées) qu’en ville il y a eu des échauffourées entre les militaires et les miliciens et qu’ont été tués par des balles perdues ou volontairement visées : un enfant, un malade mental qui divaguait dans les rues et un transporteur de briques (une des professions les moins lucratives et les plus pénibles de la ville) !

mercredi 8 mars 2017

la Journée de la Femme dans un pays en guerre

En ce 8 mars, autour de la table de la maison de formation des Pères de Saint-Maurice au Congo, la discussion s’installe sur la « Journée de la Femme » entre mes quatre aspirants et moi, leur formateur. La Journée des droits de la Femme est très importante ici.
Comme dans notre province la situation est tendue entre les militaires gouvernementaux et les miliciens rebelles, je leur avais permis la veille de téléphoner à leur famille pour donner et recevoir des nouvelles.
Ce matin je leur demande s’ils ont parlé avec leur maman de la Journée de la Femme. L’un me dit que non, parce qu’avec les troubles ses parents ont quitté le village, se sont réfugiés dans une petite hutte de brousse où il n’y a pas de réseau téléphonique. Il n’a atteint qu’un frère resté au village. C’est cela ici la Journée de la Femme !
La discussion dévie sur l’organisation de la Journée dans leur quartier ou dans leur village. Un d’entre eux pense que dans son village cette année il n’y aura rien car ce sont d’habitude les religieuses de la paroisse qui organisaient quelque chose (une fête, une messe, une conférence, du théâtre, un défilé...) mais cette année les religieuses ont dû fuir leur couvent qui ensuite a été endommagé... peut-être par les militaires, peut-être par les miliciens. C’est cela ici la Journée de la Femme !
Un autre raconte que certaines années la Journée de la Femme finissait mal au village. Les mamans quittaient tôt les maisons pour aller aux manifestations prévues, confiaient aux papas la charge de faire le repas du soir. Au retour, rien n’était fait... et c’était la crise conjugale. C’est cela ici la Journée de la Femme.